Le bibliophage




Par une froide nuit de septembre, une lourde pluie tombait lentement sur le sol, le son fade des gouttes chutant une à une sur le sol tranchait avec le silence soyeux qui emplissait les lieux. Au milieu de la rue,  la lumière vacillante et blafarde des réverbères révélait la sombre silhouette d'un homme courbé. Ses mains recroquevillées sur  un livre, il feuilletait avidement les pages blêmes dont regorgeait l'ouvrage, ses yeux rougeâtres écarquillés contemplaient haineusement les lettres soigneusement imprimées. Il émit un son guttural, un cri à la limite de l'entendement humain, et commença à rire.
Toujours hilare, il agrippa de ses doigts maigres et griffus les pages inertes, il les arracha d'un geste vif, tel un fermier arrachant les ailes d'un volatile . Il entendait les personnages crier  pour leur salut, il s’enivrait de cette sensation. Une jeune femme blonde, de 17 ans d'après le narrateur qui pleurait... Il y avait aussi ces enfants qui gémissaient faiblement devant leur dernière heure... Avec un sourire mauvais, il porta les pages à sa bouche et entreprit de les mâcher soigneusement. Les pages fondaient dans sa bouche tandis qu'il éventrait l'ouvrage. Elles avaient le goût sombre et satisfaisant de la haine et de la souffrance. Le bruit insoutenable de mastication s’arrêta un instant et il recommença à rire comme un damné et il planta de nouveau ses dents acérées dans les entrailles de l'ouvrage. Entendant un bruit au loin  il releva la tête pour promener son regard macabre sur les environs, et en quelques bonds lestes, il se fondit dans la nuit.


Cette forme d'auto-anthropophagie était le prix à payer pour renoncer à son humanité. Cet écrivain n'en voulait plus, il y avait définitivement renoncé.

"Consigne : Une scène de bibliophagie mélangeant les sens"

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