Le bibliophage

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Par une froide nuit de septembre, une lourde pluie tombait lentement sur le sol, le son fade des gouttes chutant une à une sur le sol tranchait avec le silence soyeux qui emplissait les lieux. Au milieu de la rue,  la lumière vacillante et blafarde des réverbères révélait la sombre silhouette d'un homme courbé. Ses mains recroquevillées sur  un livre, il feuilletait avidement les pages blêmes dont regorgeait l'ouvrage, ses yeux rougeâtres écarquillés contemplaient haineusement les lettres soigneusement imprimées. Il émit un son guttural, un cri à la limite de l'entendement humain, et commença à rire.
Toujours hilare, il agrippa de ses doigts maigres et griffus les pages inertes, il les arracha d'un geste vif, tel un fermier arrachant les ailes d'un volatile . Il entendait les personnages crier  pour leur salut, il s’enivrait de cette sensation. Une jeune femme blonde, de 17 ans d'après le narrateur qui pleurait... Il y avait aussi ces enfants qui gémissaient faiblement devant leur dernière heure... Avec un sourire mauvais, il porta les pages à sa bouche et entreprit de les mâcher soigneusement. Les pages fondaient dans sa bouche tandis qu'il éventrait l'ouvrage. Elles avaient le goût sombre et satisfaisant de la haine et de la souffrance. Le bruit insoutenable de mastication s’arrêta un instant et il recommença à rire comme un damné et il planta de nouveau ses dents acérées dans les entrailles de l'ouvrage. Entendant un bruit au loin  il releva la tête pour promener son regard macabre sur les environs, et en quelques bonds lestes, il se fondit dans la nuit.


Cette forme d'auto-anthropophagie était le prix à payer pour renoncer à son humanité. Cet écrivain n'en voulait plus, il y avait définitivement renoncé.

"Consigne : Une scène de bibliophagie mélangeant les sens"

L'optmisme

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L'optimisme, c'est croire que personne ne verra qu'on a utilisé le premier lien sur google pour une recherche.

L'optimisme, c'est chercher un restaurant après 10 h du soir dans une ville de Savoie comme Chambéry.

L'optimisme, c'est manger un légume violet et se dire que c'est aussi bon que des chips.

L'optimisme, c'est se lever le matin en se disant qu'il va faire beau alors qu'on vit dans le nord

L'optimisme, c'est ne pas pouvoir s'acheter de la viande et se dire que finalement les pâtes c'est bon.

L'optimisme, c'est vivre dans un 9m² et penser que ça fait moins à nettoyer.

L'optimisme, c'est avoir 2h30 de trajet par jour et se dire que ça fait du temps pour lire.




La mauvaise soirée

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      Quand je vis le photographe appuyer sur la détente, je compris à quel point je m'étais fait avoir. Yves m'avait garanti que ça serai une soirée peinarde rémunérée, avec des filles.
Si jamais je l'attrape à la fin du spectacle je crois que je vais lui faire manger ses dents. Il me laisse moisir comme un champignon déguisé en pseudo Batman à l'arrière plan. Je vais d'abord faire semblant d'avoir été amusé par la représentation, et puis une fois que je me serai suffisamment rapproché de lui, je lui mettrais un crochet que n'auraient pas dénié les plus grands lutteurs américains... Je vais lui fournir du vrai spectacle moi ! Non mais franchement, j'ai une tête à participer à un gala de danse ? C'est bien les filles, continuez à sautiller comme ça, faites juste attention a ne pas achever votre dernier neurone. J'avais heureusement de la chance, seule une petite troupe de sexagénaires était venue voir cette parodie de danse.
Yves, mon petit, j'espère franchement pour toi que tu courras vite, car ce costume hideux de chauve souris, je vais te le faire avaler frange par frange, paillette par paillette.
L'amitié a des limites que tu as largement franchi, et tu va payer la note, qui ne cesse de s’accroître au fil que ce gala de pacotille dure.
Faudra que j'attrape le photographe aussi, pour lui fracasser son appareil de malheur sur la tête.

Franchement, y'a vraiment des vendredis soirs où je ferais mieux de rester couché.

ZYB23

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La porte d'en face, celle qui donnait sur la place de la gare, s'ouvrit.
L'homme entra chez lui . Il accrocha son manteau. Il posa ses chaussures sur le sol. La journée avait été harassante. Entre le directeur qui voulait modifier les normes alimentaires de service et les stagiaires qui ne comprenaient pas pourquoi la directive 45 ne pouvait pas s'accorder avec le protocole ZYB23, il avait l'impression d’avoir passé huit heures au milieu de vampires débiles qui lui drainaient lentement ses capacités cérébrales.
Décidé à oublier supérieurs et stagiaires, il lança son ordinateur. La dernière fois, il avait laissé ces héros à la ville d'Iristoc. Il fallait maintenant les emmener jusqu’à la scène du meurtre de Tyris pour qu'il remonte la piste jusqu’à Isalin.
Après le léger vrombissement caractérisant la mise en marche, il relut ce qu'il avait pianoté la dernière fois.
"Allons vers les plaines d'Elsyks". Cette ultime phrase le paralysait. Il essayait de s'imaginer, flottant dans le monde d'obros, gouvernant ses personnages. Il les considérait comme ses enfants et l'homme sentait que son devoir était de leur donner vie.

"La directive 45 exclut le protocole ZYB23, car dans son essence même, l'alimentaire végétal doit être distingué en plusieurs sous parties, la B23 la B47bis et la B68."

La page restait vierge, impossible de visualiser autre chose que son vétuste ordinateur, que son bureau grisâtre, que son rapport à rendre sur la possibilité d’améliorer les normes alimentaires de services.

Il se mit à rêvasser,  il pensa à ses pauvres stagiaires qu'il terrorisait avec ses mimiques sévères, il pensa à ses collègues qui rentraient chez eux chaque jour répétant la même routine, avec le même costume, avec les mêmes gestes et il imagina ce qu'il se passerait si un jour ses personnages rencontraient son patron.

Il l'imagina avec son embonpoint, ses rides, ses attitudes fourbes et fausses, face à Jeho, son personnage principal.

Il imagina son personnage remettre à sa place ce gros sac qui lui pourrissait la vie.

Malgré sa page blanche, notre homme se sentait vivre. Il adorait l'écriture.

Il se tordit de rire.